Que faire ?
Une nécrologie de Robert Anton Wilson
Par Peter Lamborn Wilson, 12 juin 2007 (publié par Fifth Estate).
Robert Anton Wilson et moi-même étions en relation. Intuitivement – c’est-à-dire après plusieurs tournées de Jameson et de Guinness – nous avons décidé que nous étions cousins. En conséquence de quoi nous en sommes arrivés à nous croire connectés avec les Wilson qui jouèrent un rôle trouble dans les « Montauk Mysteries » [1] (Aleister Crowley, OVNI et les nazis de Long Island, les expériences de voyages dans le temps, etc.). Notre projet de coéditer une anthologie familiale (comprenant Colin, S. Clay et Anthony Burgess dont le véritable nom était Wilson) ne s’est jamais concrétisé – bien que nous ayons collaboré ensemble avec Rudy Rucker, à l’édition de SF pour Semiotext(e).
Il ne fait aucun doute que Bob était anarchiste. Ses premiers intérêts et expériences (la School of Living, par exemple) impliquaient des connexions avec l’anarchisme philosophique ou individualiste de Spooner et Tucker et, en fait, cette racine commune affermit la base de notre amitié.
Dans les années 80 et 90, alors que Bob était sur les routes pour mettre en place sa « philosophie debout » dans les villes des États-Unis, il visita souvent New York et, après ses conférences, il prenait un verre avec des anarchistes, des libertariens et des magiciens cérémoniels – son fan-club de l’époque – bien qu’il ait l’habitude de dire qu’il ne se joindrait jamais au Parti Libertarien, ne pouvant pas se résoudre à haïr les pauvres. Il surnommait les libertariens des « républicains sous acide ».
Bob était un Futuriste et je suis un Luddite, mais après un échange de lettres assez long nous sommes tombés d’accord pour rester en désaccord sur le sujet de la technologie puisqu’aucun de nous ne désirait faire passer l’idéologie avant la camaraderie.
Nous avons retiré beaucoup de plaisir de nos intérêts communs : Propaganda Due, la conspiration maçonnique, la science-fiction, les « faits irlandais » ainsi que Bob appelait les paradoxes et légendes celtes, l’occulte et l’histoire perdue, les pirates, les sciences étranges et les phénomènes fortéens, l’église discordienne (co-fondée avec l’anarcho-taoïste Thornley de l’Universal Rent Strike, rip) de laquelle il me consacra Pape – tous les discordiens étant papes (mais Bob était LE Pape – comme dans l’église des Sous-Génies). Bob était un des plus grands orateurs de pubs, à la manière des Brendan Behan [2] ou Dylan Thomas [3] auxquels il ressemblait physiquement. L’alcool et l’herbe étaient son carburant bardique.
Je suis fier de dire que j’apparais – sous divers déguisements, alter ego et noms de plume – dans l’un des derniers livres de Bob, Everything is Under Control (1998), une sorte d’encyclopédie de ses conspirations favorites. Au contraire de certains de ses admirateurs, Bob n’a jamais cru qu’une conspiration donnée puisse être plus (ou moins) réelle qu’une autre. Il s’est simplement satisfait d’une joie chaote dans le talent occasionnel de l’humanité à se forger des mystères originaux ; et pour lui, l’Imagination n’était qu’une forme de la réalité. Jouait-il ou était-il sérieux ?
Durant ces dernières années, alors qu’il avait mis un terme à ses épuisantes tournées de conférences dadas et vaudevillesques et qu’il s’était retiré en Californie, nous nous sommes perdus de vue car Bob avait décidé de coloniser l’internet et moi pas. Notre ami commun Eddie Nix fit le lien entre nous, renvoyant nos salutations de l’un à l’autre. Eddie m’envoyait des copies des pages web les plus récentes de Bob, la Guns & Dope Party (« car de cette manière nous avons la majorité ») – l’un de ses meilleurs coups ou canulars.
Fonder un parti politique peut sembler ne pas être le genre d’initiative que prendra un anarchiste doctrinaire, mais Bob était tout d’abord et essentiellement un homo ludens post nietzschéen, un joueur, un sectateur du lusus seriosus, la « blague sérieuse ». Dans son meilleur livre, la trilogie Illuminatis ! (débutée en 1975, co-écrite avec Bob Shea) par exemple, RAW développa la pure intensité ludique de James Joyce, et de son autre idole Flann o’Brien, en égrenant de nombreux rires tout au long des pages.
Il est indéniable que ses œuvres appartiennent à la littérature de l’anarchie, comme celle, disons, d’Alfred Jarry ou d’Oscar Wilde, si ce n’est à celle de l’anarchisme.
En dépit de la grande souffrance tout au long de sa vie (la polio de son enfance et la longue maladie de son épouse Arlen ; le meurtre de sa fille et le manque d’argent permanent), Bob semblait toujours gai, ce qui est une bonne publicité pour la Programmation Neuro-Linguistique (une théorie qu’il développa avec Tim Leary, mais que je n’ai jamais pu très bien comprendre) ou pour les vertus thérapeutiques du cannabis. Par exemple, il y a quelques années, une rumeur s’était répandue sur internet selon laquelle Bob était mort. Au lieu de s’en inquiéter, il s’en amusa et fit un rituel des « annonces concernant ma mort sont grandement exagérées ».
Je lis dans la nécrologie de RAW sur Wikipedia (qui m’a été envoyée par pigeon voyageur du quartier général du Fifth Estate) – un texte assez terne – que RAW s’en amusait tout autant cette seconde et dernière fois, disant à ses correspondants « Veuillez excuser ma légèreté, mais je ne vois pas comment prendre la mort au sérieux. Cela semble absurde ».
Il devait mourir cinq jours plus tard.
Tombeau pour RAW :
Poème & pornologie – fausse étymologie ou proto-indo-européen ha-ha ?
Le petit kabbaliste se délecte d’une poèmogrenade du jardin de Grenade.
N.E. Vavilov (dénoncé plus tard par Lysenko, mort au goulag) découvre l’Éden quelque part au Kazakhstan pas loin de l’épicentre génétique du chanvre.
Des pommes bleues à midi. Le Pape discordien lance la première balle de la raison par-dessus la barrière du jardin des Hespérides ou de Tir na Nog, l’île des Faits irlandais.
Videz d’un trait vos verres de Jameson’s !
Que faire ? Une nécrologie de Robert Anton Wilson, P.L.W. Traduction française de Spartakus FreeMann, octobre 2009 e.v.
[1] Le mystère ou le monstre de Montauk est une créature avec un « bec de dinosaure » qui a été retrouvée échouée à Ditch Plains, près de Montauk, New York, à la fin juillet 2008.
[2] Brendan Francis Behan (1923 – 1964) était un écrivain irlandais. Il a écrit des poèmes, des romans et des pièces de théâtre, aussi bien en anglais qu’en irlandais. Il était un républicain engagé et a été membre de l’IRA. Behan est l’un des dramaturges irlandais les plus connus du XXe siècle.
[3] Dylan Marlais Thomas (1914 – 1953) est un écrivain et poète gallois.
Cet article a été modifié le 14 mars 2020