Le Manifeste de la Pyramide Noire par Peter Lamborn Wilson.
1.
Il y a quelques années dans le désert de pins du Wisconsin – une large dépression formée il y a bien longtemps par la disparition du « Lac Glaciaire du Wisconsin » – quelque part dans les environs de Necedah (la ville natale de ce parc d’attractions catholique, visionnaire, hérétique et sectaire [1] et du livre Wisconsin Death Trip [2]) – un étrange bassin creux et humide ressemblant au fantôme d’un profond lac sans le moindre air respirable.
Nous cherchions quelque monticule indien perdu, perdus nous-mêmes, voiture en panne, étranges habitants du coin, une chaleur suffocante. Du côté de County Highway « ZZ » ou quelque chose du style, des tumulus désertiques et aplatis, d’occasionnelles ruines de mobil home, ensuite des étendues de plaines et des kilomètres de marais.
Soudain, loin vers la gauche, perdu au milieu des pins nains, nous apercevons quelque chose – une pyramide noire – peut-être de vingt ou trente-cinq pieds de haut – noire et sans forme – plantée au milieu de nulle part – seule – aucune indication – aucune explication – rien.
Nous arrêtons et garons la voiture sur le bas-côté – nous sortons et marchons au travers des arbres – pas de chemin – humidité – des épines et des insectes – des odeurs de matières végétales putrescentes et de pins – une sensation de gravité accrue et incommensurable.
La pyramide se révèle n’être qu’une légère structure couverte de papier goudronné noir, révélant, là où il commence à se décoller sous l’effet de la chaleur moite, un contre-plaqué bon marché. La pyramide est entourée par de la mauvaise herbe. Aucun signe de vie ou d’occupants. Une porte, également couverte de papier goudronné, est posée là sur un des côtés fermée par un cadenas rouillé. Un silence oppressant prévaut – aucune voiture ne passe sur la route – pas d’oiseaux – pas même un signe de vent soufflant dans les arbres.
2.
John Toland, The Knights of Jubilation (Amsterdam 1708 ; facs. ed. Dublin, 1981)
Thos. Devyr, The Odd Book of the Nineteenth Century (Brooklyn, NY, 1882)
Charles Fourier, Sur la maçonnerie androgynique (1824)
R. Vaneighem, The Heresy of the Free Spirit
Thos. Paine, The Druidic Order of Masonry (pamphlet, Berlin 1979)
M. Bakunin, Über die Heilige Vehmgericht (pamphlet, Berlin 1979)
Gustav Landauer, On Socialism (Telos, 1978)
G. Bruno, De magia (photocopie du texte latin)
James Macpherson, The Poems of Ossian (Edinburgh, 1926)
Ali Shariati, Javanmardi Shi’i (pamphlet en Farsi, Téhéran, 1960)
J. V. Andrae, Fama fraternitatis (Philadelphia, Rosycross Press, 1990)
Delia O. Kelley, The Patrons of Husbandry and the Eleusinian Mysteries Fredonia, NY, 1891)
The Unabomber Manifesto
Malory, Morte d’Arthur (Wm. Morris)
Wm. Blake, Marriage of Heaven & Hell
Susan Chen, The City of Willows : the Tongs & the Anarchists in 1911 (Berkeley, University of California, 1964)
Tacitus, Germania (facs. of the John Aikin trans., London 1777)
Seamus Moran, Wolfe Tone & the Whiteboys (Belfast, 1921)
Novalis, The Disciples at Saïs (London, 1913)
Julian Baldick, Imaginary Muslims : the Ovayssi Order The Bonnot Gang
3.
Des pages froissées d’un vieux livre d’aventures, du papier acide jaunissant du dix-neuvième siècle : une gravure imitant Gustave Doré et figurant une crique cachée le long d’une quelconque côte rocheuse du dix-huitième siècle, un bras de mer trop étroit pour être emprunté si ce n’est par la plus petite chaloupe les nuits troubles et sans lune.
Un serpent d’hommes costumés comme des pirates évoluant sur une plage derrière un moine bossu, une lanterne noire, à l’entrée de la grotte, frémissant sous la pluie.
Chacun portant une petite barrique ovale sur son épaule.
Une grotte stalagmitique chiaroscuro [3] illuminée par des torches vives crépitant – des empilements de tonneaux de brandy et des coffres de thé de Chine.
Un escalier en colimaçon taillé dans le roc mène à la falaise au-dessus et s’ouvre secrètement sur la crypte d’une église déconsacrée solitaire qui (selon un fragment du texte au verso de la gravure) sert de quartier général pour l’équipage.
Et le cimetière est réputé hanté par un spectre marchant lors des nuits de brouillard, gémissant et traînant le berceau d’un enfant sur ses épaules.
4.
Louez un tableau d’affichage et peignez sur celui-ci « Festina Lente » (dauphin et encre) tiré de l’Hypnérotomachia Poliphili.
Un biplan d’épandage agricole démodé, écrivant dans le ciel l’hiéroglyphe de l’Œil d’Horus, explose une tour de téléphone cellulaire dans la forêt et laisse derrière lui la lame de la Tour (XVI) du Tarot.
Demandez l’entrée à Fort Knox, vêtus de robes mystiques, etc. Lorsqu’on vous la refuse, cherchez la publicité (par exemple dans des tabloïdes de supermarché). Prétendez que vous devez entreprendre un rite alchimique pour jeter un sortilège d’amour sur les réserves d’or afin que les USA reviennent aux standards de l’or et ainsi défassent l’œuvre du mage maléfique Nixon en 1973.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, des sorcières ont, soi-disant, organisé un sabbat sur les falaises de Douvres afin de repousser la magie et l’invasion des nazis. Les sorcières modernes pourraient pratiquer des rituels contre les démons du business – utilisez de la magie noire – recherchez la publicité – essayez de traquer les sociétés comme riposte ouverte.
Pratiquez des exorcismes dans les centres commerciaux et autres lieux publics grotesques. Si possible, utilisez de véritables prêtres.
Un groupe, vêtu comme des pénitents catholiques du Moyen-âge (avec des masques pointus et des robes noires), se rassemble afin de manger dans un fast-food. Lorsqu’on les questionne, ils prétendent faire « pénitence pour nos pêchers en mangeant de la merde ». Lorsqu’on les chasse, ils commencent à se flageller les uns les autres, etc.
De grandes bannières de différentes formes, tailles et matières, brodées d’hiéroglyphes et d’emblèmes pour protéger certains lieux et certaines choses des influences maléfiques subtiles, comme la commercialisation et la trivialisation ; la bannière verte de Khezer.
Une bannière contre la pollution électromagnétique (la Foudre d’Indra).
Une bannière pour promouvoir le silence (l’hiéroglyphe d’Harpocrate), des bannières pour protéger les endroits remplis d’eau (même les plus petits comme les flaques) – flottantes au vent plantées sur des mâts au milieu des rivières ou des étangs, etc.
Des bannières aériennes (contre, par exemple, la pollution du bruit, les avions, etc.) emportées par des ballons à hélium (ou des ballons à air chaud emportant pendant la nuit des bannières luminescentes).
5.
Fondé à New York City en 1911 en tant qu’organisation fraternelle par divers rosicruciens et maçons du Grand Orient selon une charte délivrée par Justus Mathew Riley (1865-1926), un journaliste et voyageur-écrivain de l’Orient (auteur de Yemen and its Saints, NY, Linemann Publications, 1898). Riley prétendait qu’à Sanaa en 1895, il avait été initié dans la secte des ismaéliens shiites Hafezi, les prétendants légitimes au trône du califat fatimide d’Égypte.
Le Califat Ismaélien (ou « Anti-Califat ») était dévoué aux doctrines ésotériques et hérétiques des « Septimaniens » ou Ismaéliens ; son centre était au Caire et il était réputé pour sa tolérance, sa culture et sa richesse. La dynastie fut déposée en 1171 de notre ère par le grand Sultan Saladin qui établit alors la dynastie Ayyubide.
Selon la Charte, le dernier prétendant fatimide, un certain Dawud ibn Suleiman, disparut après un soulèvement avorté au Yémen aux alentours du treizième siècle et il fut alors « emporté vers le Monde Invisible », comme bien d’autres Imams shiites. Par la suite, la secte fleurit au Yémen et fut dirigée par une succession de Chefs de la Propagande (al-Da’i al-Mutlaq) connus sous le titre de Shaykh al-Hafeziyya. Les enseignements ésotériques de la secte, comprenant une grande part de spéculations néoplatoniciennes et occultes dans le style des Frères de la Pureté, devait beaucoup aux doctrines d’autres groupes ismaéliens rivaux tels les Tayebis ou les Bohras du Yémen et de l’Inde et les Nizarites, ou Assassins, d’Alamut. La connaissance spirituelle était transmise par la tradition et par des visions du « Calife Disparu » données aux shaykhs et aux adeptes de l’ordre. Une structure de sept degrés d’initiation était proposée, bien que les deux plus hauts furent conservés « vides » car ils figuraient l’Imam et son Bab ou « Porte ». Riley organisa son propre Ordre Fatimide avec trois degrés, « Chevalier », « Shaykh » et « Calife ».
L’Ordre Fatimide établit plusieurs loges à Manhattan, Brooklyn, Poughkeepsie et Rochester et se réunissait régulièrement jusqu’aux premiers jours de la Première Guerre Mondiale lorsque toutes les branches semblèrent entrer en « sommeil ». Il apparaît que Riley essaya de persuader les maçons rosicruciens du Grand Orient d’adopter l’Ordre Fatimide comme un degré indépendant en son sein (comme les Shriners au sein de la Grande Loge américaine) mais, apparemment, rien ne sortit de tout cela. Il n’est pas certain que Riley désigna un successeur.
Source : Encyclopedia of American Fraternal Organizations (New York, 1932).
6.
Aleister Crowley, vers 1913, monta ses « Rites d’Éleusis » sur une scène magique à Londres devant un public soumis à l’influence de la mescaline et de la morphine. Il jugea cette entreprise comme un échec, car des gens stupides drogués demeurent stupides. Comme Artaud, ou Bruno clignotant désespérément dans les flammes – mais, à présent, tout cela est du préfabriqué pour la télévision et personne ne les comprend plus. La clé est de se débarrasser du public.
Cornelius Agrippa fait allusion à une sorte de télégraphe lunaire occulte grâce auquel des messages sont envoyés on ne sait trop comment par la lune. Peut-être par les rêves. L’antenne pourrait être un obélisque dressé, selon les dimensions mathématiques d’un rayon lunaire unique, chapeauté par une grande pierre de lune ou par une opale, sur le dos d’un sphinx, gravée d’hiéroglyphes à transmettre et abandonnée seule dans un forêt ou dans un désert ou sur une montagne après un rituel adéquat dans le style de Marsile Ficin avec des correspondances lunaires – parfums, couleurs, liqueurs, sceaux, chants, etc.
Un incident amusant et instructif a mis fin à Acéphale, la société secrète « sans tête » fondée par Bataille et Caillois. Afin de transcender le trivial, ils demandaient qu’un membre soit volontaire pour un sacrifice humain. Comme personne ne s’avança, l’Ordre fut dissous.
7.
Un geste rosicrucien Un signe de détresse Le comte Cagliostro sous un demi-masque A perdu son adresse
Emprisonné dans nos monades Comme la bathysphère de Némo Je n’est un autre [4] Avec rien à craindre
Prise d’hallucinogènes Des gouttes comme de la morve verte Le masque que porte la nature Est tout ce que nous ne sommes pas.
Le Manifeste de la Pyramide Noire, Peter Lamborn Wilson – « Cabinet Magazine », numéro 18, été 2008. Traduction française par Spartakus FreeMann, avril 2009 e.v.
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Notes :
[1] Necedah Shrine : lieu de culte non reconnu par l’église où Mary Ann Van Hoof eut des visions de la Vierge Marie.
[2] Livre de Michael Lesy publié en 1973 et dont fut tiré un film du même nom. Ce livre est basé sur les photographies de Jackson County prises à Black River Falls.
[3] Terme italien signifiant clair-obscur.
[4] En français dans le texte.
Cet article a été modifié le 11 mars 2020