Hakim et les sociétés secrètes.
K.B. : J’ai ajouté ton essai sur la société secrète chinoise des Tongs car je le trouve utile concernant la manière dont il faudrait œuvrer d’un point de vue hérétique & autonome. Suggérerais-tu de fonder de nouvelles sociétés secrètes ?
H.B. : C’est là l’une de mes idées les plus expérimentales & je sens un terrain glissant, car de nombreuses sociétés secrètes ont été utilisées dans des visées très différentes, pour des choses que nous n’approuverions certainement pas.
Il serait intéressant de se concentrer en premier lieu sur Vienne, qui est l’un des principaux lieux de la conspiration franc-maçonnique dans l’histoire. Mais en réalité, ce qui m’a poussé à me pencher sur ce sujet, c’est une interview de William Burroughs pour un petit zine du nom d’Homocore. La discussion portait sur les Tongs comme modèle possible pour les homosexuels à une époque où le SIDA & le néopuritanisme auraient pu les inciter à disparaître tactiquement de certaines zones de la société afin de se protéger.
Par ailleurs, il est clair qu’au départ les organisations maçonniques étaient des sociétés d’entraide plutôt que des officines mercantiles, un réel plan de pension collectif sans buts lucratifs. Les Tongs en Chine étaient, au départ, des groupes révolutionnaires. Ils étaient supposés restaurer l’autonomie des Han suite aux invasions mongoles qui donnèrent naissance à la dynastie Djing. Ils voulaient restaurer les Ming. Mais ils se détournèrent rapidement vers le crime, ce qui est une idée également utile pour une société secrète, car nous savons tous combien de choses cool & amusantes sont considérées comme un crime dans nos sociétés modernes, alors qu’elles sont complètement anodines, comme l’herbe. En Amérique c’est là un crime terrible ; il y a plus d’un demi-million de personnes en taule pour ça.
Je me demande si un jour il ne serait pas préférable, plutôt que de descendre dans la rue, de fumer un joint pour être jeté en prison, devenir un martyr & monter politiquement en épingle notre misère ; peut-être serait-il mieux de ne créer qu’une petite « société secrète » dédiée à la production & à la consommation de la marijuana. Histoire d’ignorer simplement l’État & sa connerie hystérique.
On pourrait étendre cette métaphore à d’autres activités sociales, économiques, sexuelles ou créatives, celles où vous ne désirez pas, pour une raison ou une autre, l’incursion de puissances extérieures, plus grandes et plus fortes, possédant des armes et l’argent – une certaine manière de disparaître. Le modèle serait alors la société secrète.
J’aime à dire que je ne crois pas dans le secret absolu. Le secret virtuel serait pour tout le monde. Par là, je veux dire que vous ne passerez pas pour un con dans les médias. Le pire exemple qu’il m’a été donné de voir est Waco. Koresh, le leader, était un faucon des médias. Il s’est présenté à la télévision, s’est vanté de collectionner les armes & a mis au défi la police du Texas de venir le prendre. Il a fait du remue-ménage dans les médias locaux & ce fut suffisant pour éveiller l’attention des gens à Washington qui se dirent qu’il serait bien utile de cramer quelques chrétiens de droite, de droite à ce point de l’histoire, afin de montrer que Bill Clinton était le héros du libéralisme de gauche. Et donc, il y eut cette femme Procureur général qui décida de frapper un grand coup – un acte de suppression politique. Le but était de terrifier le moindre petit groupe autonomiste chrétien de droite aux USA ; deux ans plus tôt la même tactique fut utilisée contre un groupe de Philadelphie appelé Move – un groupe nationaliste noir – qui avait mis des haut-parleurs sur le toit de leurs maisons & diffusaient sans cesse leur message « Retour en Afrique » à tout le voisinage. Ils ne faisaient de mal à personne, ils étaient juste bruyants & rebelles. La ville de Philadelphie s’est mobilisée & a cramé 90 blocs de maisons ; ils tuèrent tout le monde, à une ou deux exceptions près, femmes & enfants ; ils périrent tous dans leurs maisons. C’est ce qui est arrivé à Waco.
Ce n’est pas un coup d’arrêt de gauche ou de droite. C’est une répression du pouvoir vis-à-vis de l’autonomie. Celui qui se comporte de manière autonome est le vilain. Si vous allez voir les médias pour vous en vanter, vous demandez à être écrasés. Car ils ont les armes & ils ont le fric.
Je suggère donc les Tongs comme un modèle à explorer. Je ne dis pas qu’il faut y croire. Je ne pense pas que c’est une panacée, mais je pense que c’est là un modèle très intéressant que l’on doit de nouveau examiner. Au 18e siècle, les sociétés secrètes étaient à la pointe des idées révolutionnaires, & nous sommes peut-être dans une situation identique aujourd’hui.
Hakim et les sociétés secrètes. Extrait de « Hakim Bey Talks » sur Public Netbase, le 18 mars 1995. Traduction française par Spartakus FreeMann, 12 août 2011 e.v.
Cet article a été modifié le 7 mars 2020